Qu’en est-il des examens du ministère pour l’école à la maison?

examens école à la maison éducation May 12, 2021
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Le 1er août 2019, la version finale du règlement modifié sur l’enseignement à la maison, qui avait été déposé initialement le 27 mars 2019 par le ministre de l’Éducation Jean-François Roberge, a été publiée. Ce règlement stipule que les examens ministériels devront être obligatoires pour les familles qui font l’école à la maison à partir de l’année 2021-2022. Étant enseignante au primaire de profession et ayant travaillé plusieurs années dans les établissements scolaires, j’ai été déçue d’apprendre que mon enfant découvrira la fausseté du système scolaire plus tôt que je ne l’aurais souhaité. Je me demandais alors comment aborder la réalité des examens du ministère avec mon enfant scolarisé à la maison.

 

L’évaluation c’est subjectif

Une évaluation c’est stressant au point que certains élèves sont malades la veille de leur examen. Pour quelques enfants, en plus de ressentir du stress face à une épreuve, ils subissent la pression de leurs parents pour obtenir une bonne note. Leur estime de soi est, bien évidemment, affecté lorsque la note est mauvaise (selon leur perception ou celle de leurs parents). Cependant, beaucoup ignorent que ce système de notation est faussé, puisqu’une évaluation est, en tout temps, subjective.  Dans mon parcours scolaire, aucun professionnel de l’éducation ne m’a mentionné cet aspect, sauf une seule fois, à l’université. Un professeur était soucieux d’évaluer objectivement nos examens et il nous avait expliqué que, pour y parvenir, l’évaluation devait être faite sous forme de choix multiples et corrigée par un système robotisé.

Dans un article du 1er juin 2019 dans Le Devoir, Isabelle Nizet, professeure à la Faculté d’éducation de l’Université de Sherbrooke affirme « qu’un chiffre, c’est rassurant. Ça semble objectif, neutre, mais ça ne l’est pas ». Je confirme totalement ses propos. À plusieurs occasions, j’ai eu à discuter avec des collègues sur la manière d’aider nos élèves lors d’une évaluation et le comment nous attribuons des points en situation d’écriture ainsi qu’en résolution de problèmes. C’était impressionnant de constater que ces discussions ne prenaient pas 5 minutes et nous argumentions déjà sur plusieurs éléments. Par exemple, pour l’examen d’un élève en 3e année du primaire, une enseignante trouvait que ses idées étaient insuffisantes, une autre les qualifiaient de correctes, puis une autre ne corrigeait pas le critère de suffisance, car elle avait rédigé une liste d’idées au tableau avec ses élèves durant la préparation de la situation d’écriture. Pour la résolution de problèmes, en mathématiques, les variations de conceptions d’idéologies face à la « bonne manière » sont infinies. Pour un enseignant, un élève a réalisé une démarche claire si tous les éléments y sont présents, mais pour sa collègue, une démarche claire comprend la présence de tous les éléments présentés de façon structurée. Enfin, pour leur collègue qui exerce dans un autre établissement scolaire, les démarches de leurs élèves sont toujours bien organisées, puisqu’elle leur met au tableau un exemple de ce qui est attendu. Par conséquent, je me dois d’expliquer à mon enfant instruit à la maison que ses notes, lors des examens ministériels, seront en fonction du contexte d’évaluation : les instructions données par l’enseignant et le support qu’il recevra lors de l’évaluation. Ajoutons à cela que ses notes varieront également selon le jugement de l’évaluateur ou l’évaluatrice.

 

L’uniformisation des résultats

Au Québec, de nombreux parents sont étonnés d’apprendre que le ministère de l’Éducation ajuste les notes pour uniformiser les résultats à l’échelle du Québec. C’est une information qui est mentionnée sur le site du ministère dans un langage plutôt complexe. Parfois, l’uniformisation des résultats portera le nom de pondération. À d’autres moments, ce sera le terme modération qui sera employé. Puis, il est possible de lire la conversion des résultats. Sachant maintenant les codes du langage du ministère de l’Éducation, peut-on accorder une crédibilité aux examens ministériels si les notes sont pondérées à l’échelle du Québec? Un enfant très doué obtiendra un résultat à la baisse si la majorité des élèves du Québec ont eu une note moindre. L’inverse de la situation s’applique également : un enfant en difficulté d’apprentissage gagnera quelques points à sa note finale si la plupart des élèves du Québec ont une note élevée. C’est un point complexe à exposer. Je vais tenter de faire de mon mieux pour trouver des mots simples et expliquer à mon enfant que sa note dépendra des autres élèves de la province du Québec. 

 

La pondération des écoles-maisons

La conversion des résultats à l’échelle du Québec ne constitue pas l’unique modification de la note obtenue. Un ajustement de la note se fait selon la note-école, puisque le ministère de l’Éducation tient compte des résultats attribués par les enseignants et les enseignantes tout au long de l’année scolaire. Les notes cumulées dans une année scolaire valent pour 80% de la note finale, ce qui signifie que la valeur des examens du ministère est pondérée à 20%. Quand est-il pour les enfants instruits à la maison? Est-ce qu’il existe une note-maison? Selon le ministère de l’Éducation du Québec, il n’existe pas de telle note. Ainsi, la valeur de la note obtenue aux épreuves ministérielles par les enfants éduqués à domicile comptera pour 100%. Il m’apparait bien injuste d’attribuer à ces enfants la réussite ou l’échec d’une compétence dans une matière scolaire selon une note qui n’a pas la même valeur que les autres élèves de la province du Québec. C’est un grand fossé qui se creuse entre la réalité des enfants éduqués à domicile et ceux qui fréquentent un établissement scolaire. Les enfants de tout le Québec auront à passer un examen commun, mais il sera impossible de comparer les résultats obtenus des enfants scolarisés à la maison de ceux fréquentant un établissement scolaire. Je vais devoir expliquer à mon enfant que les résultats de ses épreuves ministérielles ne représenteront pas sa progression d’une compétence tout au long de l’année scolaire. Personne ne pourra me dire qu’il vaut 50% en français écriture, car le ministère n’aura pas tenu compte qu’il valait pour 80% durant son année scolaire. Si le ministère avait créé une note-maison, il aurait obtenu 74% en français écriture, ce qui est une différence marquante avec le 50% qu’il aura peut-être.

 

 La surcharge des évaluations

Les méthodes d’évaluations et le nombre d’évaluations dans une année scolaire varient selon les enseignants, les écoles, les régions et les pays. Au lieu d’exiger une évaluation traditionnelle produite par écrit, dans certains pays les évaluations se déroulent sous forme d’observations des apprentissages des élèves. De plus, les élèves sont invités à s’auto-observer et s’auto-évaluer.  

Au Québec, comme c’est important le bulletin chiffré, il faut définir une note à partir de plusieurs évaluations. Même la spécialiste en éducation, Isabelle Nizet, a mentionné dans Le Devoir « qu’il y a trop d’examens au Québec ». Le fait d’exiger que les enfants scolarisés à domicile se présentent dans un établissement scolaire lors des épreuves ministérielles, implique bien plus que la simple présence d’une journée en classe. Par exemple, en 4e année du primaire et uniquement pour le français, mon enfant devra aller à l’école, à la fin du mois de mai et au début juin, pendant 5 jours pour des examens ministériels obligatoires. Pour la 6e année du primaire, mon enfant devra se présenter en janvier et en juin en additionnant autant de journées pour les mathématiques. Il est à noter que ce ne sont même pas des épreuves en vue de l’obtention du diplôme du secondaire. La surcharge des évaluations est évidente pour tous. Pourquoi les enfants fréquentant un établissement scolaire n’en font pas de cas? Au primaire, les évaluations du ministère sont présentées comme une journée ordinaire de classe. Les enfants font les examens dans leur classe, à leur pupitre, avec leur enseignant ou leur enseignante, en sachant bien où sont les affiches et les dictionnaires s’ils ont besoin d’aide. Comme il y a de nombreuses évaluations écrites au cours de l’année scolaire et que les épreuves obligatoires ministérielles ont lieu dans leur local habituel, c’est une journée normale d’école!

 

Les enfants scolarisés à la maison

Les enfants scolarisés à la maison vont devoir se conformer au règlement et se présenter aux journées prévues à l’horaire du ministère de l’Éducation pour les épreuves obligatoires. Plusieurs de ces enfants mettront les pieds dans un établissement scolaire pour la première fois de leur vie. Afin de comprendre leurs émotions, voici une analogie. Je vous offre un voyage exotique en Thaïlande, mais vous ne pouvez pas visiter le pays, car vous êtes autorisé seulement à vous rendre au bureau des douanes pour répondre à des questions. Qu’allez-vous en retirer de ce voyage? Est-ce que vous voudriez renouveler cette expérience? Les enfants éduqués à domicile découvriront un nouvel endroit, mais ne pourront pas socialiser ou apprécier leur moment d’exploration. Ils devront apprendre à se fondre dans la masse et à faire comme s’ils étaient habitués d’être dans cet environnement pour donner leur 100%.

Et quand est-il des parents de ces enfants? Croyez-le ou non, éduquer et travailler peuvent être fusionnés. Il y a des parents qui font l’éducation à domicile, tout en étant en télétravail. D’autres parents sont travailleurs autonomes, tout en faisant l’école à la maison. Adapter son horaire d’école-maison et de travail avec une journée d’évaluation, c'est possible. Cependant, gérer 5 ou 10 journées d’examens, ça commence à être une logistique complexe à mettre en œuvre. Sans compter que certains parents ont aussi plus d’un enfant scolarisé à la maison. Alors, je vais expliquer à mon enfant que son examen subjectif, pondéré et uniformisé sera plus qu’un simple examen. Je vais le motiver à participer au voyage en Thaïlande au bureau des douanes, plus d’une fois, parce que le ministère de l’Éducation a besoin de savoir ce qu’il vaut. Inconsciemment, le message qui est envoyé à mon enfant est le suivant: c’est important de se définir par la valeur d’une note. En aucun temps, on va lui souligner ses forces et ses points à travailler.

 

Ma vision de la situation en 3 points

Il est clair que, pour les enfants instruits en famille au Québec, les épreuves obligatoires du ministère de l'Éducation ne représenteront certainement pas leur « vraie » valeur en termes de note. Néanmoins, elles vont démontrer leur capacité d’adaptation, leur capacité à gérer leurs émotions et leur capacité à exécuter un travail dans des circonstances exceptionnelles.

Premièrement, la capacité d’adaptation fait référence au fait que les enfants scolarisés à domicile se présenteront dans un nouvel endroit; dans un local qui n’est pas celui du quotidien pour réaliser des apprentissages; ils devront se débrouiller pour apprendre les règles de l’établissement et de la classe afin de se conformer rapidement; ils travailleront dans le bruit entourés d’une vingtaine d’élèves, alors qu’à la maison le ratio est beaucoup plus petit; ils essayeront d’être confiants et confiantes à comprendre toutes les consignes de manière autonome, puisque l’enseignant ou l’enseignante ne sera pas à côté d’eux comme à la maison. Selon moi, la capacité d’adaptation des enfants qui font l’école à la maison méritera d’être soulignée lors des examens du ministère.

Deuxièmement, la capacité à gérer leurs émotions par rapport à la préoccupation d’être dans un nouvel environnement, au stress face aux nombreux examens, aux tensions de se retrouver dans un groupe d’individus qu’ils ne connaissent pas nécessairement, aux craintes appréhendées si une difficulté d’apprentissage survenait, aux questionnements en lien avec l’aide qu’ils recevront ou non de la part de l’enseignant ou l’enseignante, à la fébrilité de se retrouver dans un groupe, aux heures de sommeil manquantes à cause des émotions ressenties, etc. Encore une fois, la capacité de gérer les émotions des enfants scolarisés à la maison méritera d’être valorisée lors des épreuves ministérielles.

Troisièmement, la capacité à exécuter un travail dans des circonstances exceptionnelles s’explique en pensant à la pandémie. Durant la pandémie mondiale, au Québec, pour les enfants qui fréquentaient un établissement scolaire, il était optionnel de faire de « l’école » à la maison. Les élèves avaient le choix, car le ministère de l’Éducation considérait que les enfants vivaient des perturbations et que les circonstances étaient exceptionnelles. Jamais, il n'a été question pour ces enfants d'exécuter des travaux à la maison au même titre que lorsqu'ils sont à l'école.  En suivant un raisonnement identique, cela équivaut à dire que, pour les enfants éduqués à domicile, ce sera une circonstance exceptionnelle de procéder à des examens en dehors de leur contexte habituel. Les enfants instruits en famille devront, tout bonnement, se concentrer et travailler comme si c’était fréquent d’être dans une classe avec plus d'une vingtaine de personnes. Dans un autre ordre d’idées, il sera inaccoutumé pour certains enfants de se lever tôt et être prêts à réaliser une tâche d'apprentissage à 8 heures du matin. Il y a certes 70% des enfants biologiquement programmés pour se lever tôt, mais il y a aussi 30% des enfants qui ne le sont pas. Ces statistiques proviennent de la bouche d'une psychothérapeute connue mondialement. Lors d’un live avec Julien Peron, Isabelle Filliozat expliquait que le cerveau des enfants, qui est biologiquement programmé pour se lever tard, n’est pas en état d’apprendre à 8 heures du matin. Les perturbations d'horaires de sommeil entrainent des difficultés d’apprentissage et cela influencera, incontestablement, les résultats de ces enfants aux évaluations scolaires. Il est donc important de reconnaitre la capacité des enfants éduqués à domicile à exécuter un travail dans des circonstances exceptionnelles au moment de la passation des examens obligatoires du ministère.

 

À la lumière de tout ce qui a été élaboré, j’invite les parents et les acteurs dans le monde de l’éducation à mettre moins d’importance sur l’obtention d’une « bonne » note . Observer et souligner les forces des enfants qui tentent de se conformer dans un système scolaire pour répondre à ce que la société attend d’eux. Lorsqu’on prend le temps de les observer, on se rend compte à quel point les enfants possèdent des ressources intérieures pour essayer de donner le meilleur d’eux-mêmes. Même si le résultat n’est pas positif, les efforts méritent une mention d’honneur. J’aborderai ainsi les examens du ministère avec mon enfant qui n’a jamais été dans un établissement scolaire. Je serai fière de lui peu importe le résultat obtenu, puisqu'il est faussé de toute façon. Ce qui est vrai, c’est que mon enfant va vivre une nouvelle expérience et je serai là pour le soutenir!

 

Si vous désirez en savoir davantage sur :

Les examens du ministère pour les enfants éduqués à domicile


 

 

Bibliographie :

Fortier, Marco (2019). « Fausses notes dans les bulletins scolaires ». Le Devoir. Récupéré le 16 avril 2021

Ministère de l’Éducation du Québec, Le traitement ministériel des résultats . Québec. Récupéré le 16 avril 2021 et modifié le 01 novembre 2023 (pour mettre à jour le lien).

Peron, Julien (2 mars 2021). Julien Peron et Isabelle Filliozat / L’alphabétisation émotionnelle. Récupéré le 16 avril 2021